Déjà 34.000 morts en Turquie et en Syrie. Au moment où nous mettons sous presse, le bilan des tremblements de terre de la semaine dernière ne cesse de s’alourdir. Au grand désespoir d’un monde ébahi, stupéfait, inconsolable et affaissé. Personne ne comprend qu’en plein XXIème siècle où la technologie et l’intelligence humaine triomphent de tout, tant de morts soient possibles d’un seul coup. Et de manière aussi violente.
Il y a deux semaines, c’est le Bénin tout entier qui a été frappé par la tragédie de Dassa. Près d’une trentaine de morts, dont la majorité brûlés, calcinés réduits à rien en l’espace de quelques minutes. Des vies qui s’évaporent dans le feu incandescent. Et parmi les victimes, des bienfaiteurs, des hommes et femmes de cœur, des hommes et femmes de prière. Un échantillon représentatif de ce que notre humaine nature élève au firmament de nos valeurs. Et les voilà réduits à rien, malgré tout ce en quoi ils croyaient et pour lequel ils luttaient. Ce n’est pas la mort elle-même qui écœure si tant. C’est cette mort violente, foudroyante. S’il y avait une malédiction, ce serait de mourir calciné, devenir charbon. C’est un sort funeste et insupportable.
« Si Dieu se trouvait soudainement condamné à vivre la vie qu’il inflige aux hommes, il se suiciderait », disait l’écrivain français Alexandre Dumas. C’est pour éviter ce suicide que beaucoup choisissent une voie simple et claire : vivre l’ici et maintenant. Laisser demain décider de lui-même. C’est pourquoi les latins disent carpe diem : profite du jour. Profite du moment.
C’est la devise des épicuriens qui invitent à
jouir de l’instant, sans souci du lendemain.
C’est un hédonisme assumé, une quête du plaisir maximal, en abondance et en permanence. Certains le manifestent dans la fête et la boisson et tous leurs dérivés. Cette tendance est aujourd’hui en vogue chez de nombreux jeunes adultes qui envahissent les lieux de plaisir tous les soirs. Quand une vie se consomme et se consume dans les hôtels et les bars de tout genre, on s’imagine qu’elle est bien vécue. Sagbohan Danialou l’avait déjà chanté : « Mange ce que tu trouves, donne-toi toute la volupté, la divinité qui t’incarne est très puissante. » D’autres le consomment ailleurs, dans l’habillement, le luxe et le fringant.
Il y en a qui au contraire cherchent à laisser des traces. Coûte que coûte. A partir d’un certain âge, entre 50 et 60 ans, ce que l’on appelle le midi de l’existence, ce désir s’amplifie à mesure que l’on voit ses proches partir un à un. Nous ne sommes pas faits pour mourir. Du moins, l’être humain se pense éternel et croit rarement en sa finitude. Même un suicide est un message d’éternité. Alors s’érigent les immeubles, se mènent des luttes féroces pour le pouvoir, se créent diverses associations caritatives ou non où l’on tente de conjurer la fatalité de la finitude humaine. Laisser des traces se vit dans la quête d’une éternité factice, illusoire.
Il y a quelques mois, j’ai fréquenté un restaurant qui fut en réalité une maison d’habitation. Au regard de sa situation géographique, les héritiers ont choisi de la réaménager en restaurant, la photo de leur grand-père et père trônant forcément au milieu du salon. Tous ceux qui passeront par là retiendront le nom, le sourire et la prestance peut-être d’un homme qui a laissé des traces. Il n’aura pas vécu inutilement, comme on dit. Des statues, des noms de rue, des chansons, des livres ou de simples résidences, la progéniture, tout cela porte ce désir d’éternité. Nos enfants sont le signe visible que notre espèce n’existe que parce qu’existe ce désir de demeurer. Il est en définitive ce qui nous maintient dans l’espérance de ne pas disparaitre. Mais alors, que représentent tous ces biens matériels et immatériels, que représentent ces enfants que nous suons sang et eau à éduquer, face à nos vies qui s’en vont pour de bon ? Ceci remplace-t-il cela ?
La vérité, c’est que notre mort elle-même n’aurait pas de sens s’il n’y avait ce désir de laisser quelque chose à notre départ. Mourir sous des bombes, sous le feu ou sous des blocs de béton, mourir d’une simple maladie, c’est mourir. C’est partir. C’est disparaitre. Même si l’on a laissé des traces qui disent ce que nous avons été ou ce que nous espérions être. Telle est l’injuste fragilité de notre nature.
Olivier Alochémè