Est-ce que le retrait du Niger, du Burkina-Faso et du Mali est une bonne chose pour notre sous-région ? Je réponds que non, même si c’était prévisible. C’était prévisible pour plusieurs raisons. La création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) était tombée comme par surprise. Cette alliance constitue une alliance militaire de défense réciproque. Créée le 16 septembre 2023, elle prévoit un appui réciproque en cas de menace extérieure touchant l’un des trois Etats membres. On avait tout prévu sauf l’AES. Vous me direz que c’est l’union des faibles. J’en conviens. Mais je n’irai pas jusqu’à penser que la Russie est étrangère à cette manœuvre. Les trois Etats (2,5 millions de km2) forment la moitié de la superficie de la CEDEAO (5,2 millions de km2), 17% de sa population et 7% du PIB de la communauté. Mais c’est le poids géostratégique de la zone avec ses minerais d’or, de pétrole, d’uranium et autres ressources stratégiques, qui en fait un atout non négligeable pour les grandes puissances. Désormais, la Russie tente d’y faire main basse. Une base de sa stratégie africaine ? Nous y allons à grands pas.
Tout compte fait, l’AES n’aurait jamais vu le jour si Patrice Talon, qui a en horreur les diplomates de son pays, ne s’était pas précipité fin juillet, pour aller dire à Abuja ses mots malheureux que tout diplomate lui aurait déconseillé : « Tous les moyens seront utilisés au besoin pour que l’ordre constitutionnel soit rétabli au Niger. » Et les nouvelles autorités savaient que le président béninois ne parlait pas au hasard. Une unité d’élite venue de la base militaire française du Tchad avait été dépêchée par Emmanuel Macron pour prendre d’assaut la présidence et libérer Mohamed Bazoum des mains des putschistes. La CEDEAO avait commencé par mobiliser des hommes et du matériel pour intervenir. Les putschistes n’avaient d’autre option que de s’organiser militairement pour faire front. Mais avant, ils ont réussi à retourner la population nigérienne contre la CEDEAO et contre la présence militaire française dans le pays. Nous sommes dans la Realpolitik. La création de l’AES est une réponse directe aux menaces et aux sanctions sans limite de la CEDEAO. Le retrait de cette organisation n’est que la consécration de l’exacerbation des tensions.
Quelle est donc la conséquence immédiate de ce retrait ?
Je ne pense qu’à nos compatriotes qui sont dans ces pays. Etudiants, commerçants, travailleurs de tous ordres, ils seront les premières victimes de cette escalade. Il en sera de même pour les ressortissants des trois Etats dans les autres pays de la CEDEAO. Au plan économique, si la situation perdure, il faut s’attendre à la baisse des prévisions de croissance pour cette année. Bien sûr, c’est le Togo qui en tire tous les bénéfices en se positionnant très tôt comme un allié des putschistes nigériens. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si jeudi dernier, le ministre togolais des affaires étrangères, Robert Dussey, a été reçu à Niamey, pendant que son homologue du Bénin n’a pas pu faire le déplacement, alors qu’il y était aussi attendu. Mais je soupçonne Lomé de jouer en réalité la carte française. Mon sixième sens me dit que Faure Eyadéma ne peut oser aller si loin dans la proximité avec des adversaires déclarés de la France, s’il n’a pas obtenu un appui de Paris. L’Elysée peut bien utiliser ses relations avec les hommes de la transition pour créer une ouverture dont il profitera par la suite. Si Paris perd le sahel comme on est en train de le voir, c’est tout un pan de sa diplomatie qui s’écroule en Afrique. Et sa zone d’influence géostratégique qui s’amenuise au profit de la…. Russie.
Mais tout ceci ne nous dit rien de l’avenir de l’AES elle-même. En vérité, je suis convaincu que ces pays font fausse route. Totalement. Aujourd’hui, ce sont les grands regroupements qui donnent de la force aux Etats. Le projet de création d’une monnaie propre à ces Etats, n’en ajoutera qu’à la confusion actuelle. Et si on se réfère à l’histoire, je ne doute pas un seul instant que la France usera de tous les moyens pour noyer cette monnaie, comme elle l’a fait par le passé en Guinée. Mais à la différence de la Guinée de Sékou Touré, ces Etats n’ont plus la naïveté de l’ignorance. Ils sauront s’appuyer sur la Russie et la Chine sans lesquelles, même leur alliance ne serait qu’un tigre en papier.
Olivier Allochémè