Le corps de l’ancien ministre Roger Gbégnonvi a été retrouvé dans sa chambre à Ouidah la semaine dernière. Le sort ultime de cet enseignant, polémiste passionné dans l’arène publique, met en lumière le drame de la solitude des personnes du troisième âge dans notre société. Vivre devient un poids voire une charge lorsque tout le monde est parti et que l’on doit gérer seul la vie ordinaire. Contrairement à ce que l’on croit, ce type de drame est plus fréquent que jamais dans notre société.
Il y a quelques mois, un retraité dans mon quartier a été retrouvé mort dans sa chambre. Il était décédé depuis deux semaines. C’est sa fille qui, ne recevant aucune réponse à ses nombreux appels, est venu à la maison pour enfin voir que son père était décédé depuis plusieurs jours. Il vivait seul, sans agents domestiques. A l’heure fatidique, il n’y avait personne pour le secourir. Il a eu moins de chance qu’un autre retraité de mes connaissances, un fonctionnaire international vivant à Calavi. C’est son gardien qui, voyant la lumière toujours allumé dans sa chambre, s’était mis à l’appeler sans réponse à 2h du matin. Il a fait le forcing en téléphonant à la bonne qui a fini par décrocher. Lorsque les deux sont entrés dans sa chambre, le vieil homme gisait dans le coma, au milieu de ses excréments, après une nuit d’enfer. Il avait été victime d’une diarrhée foudroyante qui avait failli l’emporter. C’eût été fait s’il n’y avait pas eu le gardien. Là encore, un retraité s’est retrouvé seul, après le départ des enfants et après la mort de leur mère.
Nous courons tous pour la réussite des enfants, sans nous demander ce que nous deviendrons s’ils s’en vont tous. Car ils partiront tôt ou tard. Dans la plupart des cas, leur départ fait même notre fierté. Ces départs successifs ouvrent la voie de la solitude des parents. A un âge où ils ont besoin de présence, d’attention. L’âge de la vieillesse est l’âge des maladies, mais aussi de la pauvreté. La pauvreté des séniors est parfois plus dramatique que celle des plus jeunes. Elle intervient au moment où les maladies de la vieillesse s’accroissent. Solitude, pauvreté, maladie. Voilà le triptyque qui ronge la population sénile.
A vrai dire, la plupart d’entre nous faisons « quelque chose » pour atténuer cette course inexorable. Un ami me racontait la semaine dernière comment il a dû ramener sa belle-mère à la maison pour lui éviter la solitude. D’autant plus qu’elle a commencé à développer des pertes soudaines de mémoire, symptôme sans doute d’Alzheimer, la plus terrible des maladies de la vieillesse (avec la démence). Et pour éviter qu’elle se perde au quartier lorsque personne n’est à la maison, ils ont dû dégager quelqu’un pour la surveiller en permanence. Car lorsque les personnes du troisième âge ne reconnaissent plus leur chemin, nous parlons tous de sorcellerie, au lieu de les aider et de les soigner. Dans ce cas précis, l’homme a été assez gentil pour accepter que sa belle-mère vienne rester à la maison. Imaginer s’il avait refusé, prétextant de sorcellerie ou d’autres choses. Et si c’était plutôt sa propre mère, son épouse l’aurait-elle acceptée ainsi ?
Au fond, le prix à payer pour éviter la solitude des séniors est très lourd. Pour y remédier, il y a désormais des pensionnats qui s’installent. Notre société est en pleine occidentalisation. Nos anciennes concessions villageoises où tout le monde prend soin des vieux, sont en train de disparaitre dans les centres urbains. C’est dans ces concessions que fourmillent les enfants qui sont restés, les petits enfants, les cousins et cousines, et parfois leurs maris et leurs femmes. En ville, tout cela change. Réussir, c’est vivre loin des parents. Ici, chacun a sa maison à part et vit sa vie avec sa petite famille. C’est pourquoi les maisons de retraite sont déjà des solutions. Seulement, la plupart des personnes du troisième âge que je connais, ne les apprécient guère. Mais tôt ou tard, le Bénin finira par adopter cette solution qui n’est plus tabou dans les pays développés. Au contraire. Entre laisser ses parents mourir à petits feux seuls à la maison ou les confier à des spécialistes compétents, le choix est vite fait.
Olivier Allochémè