La France changera-t-elle réellement sa politique africaine ? La tournée de Macron la semaine dernière était destinée à répondre que oui. Lui, Jupiter, changera les choses. Mais je n’y crois pas. Et pour plusieurs raisons.
La France n’aura à rien changer : les choses changent sans même qu’elle le veuille. Paris comprend tardivement en effet les conséquences de l’entrée de la Russie sur la scène géostratégique africaine. Aujourd’hui, la Russie a réussi à montrer aux Africains qu’elle peut constituer une alternative à leur face-à-face historique avec l’ancienne puissance coloniale. Tous ceux qui ont des ressentiments plus ou moins légitimes vis-à-vis de l’ancienne métropole, se sont rabattus sur Moscou. Et le Kremlin ne lésine pas sur les moyens pour avoir les opinions publiques en sa faveur. Vladimir Poutine en a les moyens. Assuré de la manne pétrolière presque illimitée de son pays, il peut financer n’importe quelle action sur le continent. La France est tombée dans le piège. La Centrafrique a préféré traiter avec Moscou plutôt qu’avec Paris. L’opération Sangaris a pris fin à queue de poisson. Le Mali a fait mieux. Bamako a carrément chassé les militaires français de son sol, suivi désormais de Ouagadougou qui en a fait de même. Il ne reste désormais que cinq bases militaires françaises en Afrique : Abidjan, Dakar, Libreville, Niamey et Djibouti. Avec la définition d’une nouvelle politique africaine, l’Elysée entend désormais les transformer en centres d’instruction. Pendant longtemps, les militaires français ont servi à protéger les pouvoirs africains contre leurs peuples. C’est fini !
Mais ce coup d’arrêt n’est pas dû à une quelconque volonté de Macron : les Africains ne sont plus prêts à tomber dans le piège de la FrançAfrique. C’est le deuxième facteur des mutations en cours. A vrai dire, personne n’est contre la France en tant qu’Etat ni contre les Français eux-mêmes. Mais la pratique diplomatique et politique de l’Elysée en Afrique n’a jamais pris en compte que les intérêts géostratégiques de la France, au détriment de l’existence même des Etats africains. Un exemple. Lorsque Sarkozy et l’OTAN se débarrassent de Kadhafi, il fallait trouver un point de chute aux nombreux mercenaires Touaregs qui soutenaient le régime de Tripoli. La DGSE (le renseignement français) prend langue avec leurs responsables à qui elle promet son aide pour disposer d’un Etat au nord du Mali. C’était une ancienne revendication des Touaregs soutenus et armés par Kadhafi. A la différence qu’ici, la France entre dans le jeu et que surtout les terroristes en profitent pour mettre pied au nord Mali et dans le Sahel. Les dirigeants actuels du Mali étaient au front et ont vu (de leurs propres yeux comme on dit), ce double jeu des militaires français sur le terrain. Et ils en ont conclu que Paris travaille à casser leur pays pour satisfaire les rebelles Touaregs. A la différence des autres dirigeants maliens, le président de la Transition malienne Assimi Goïta dispose d’une alternative. Il joue désormais à fond la carte russe. Son exemple fait tache d’huile sur le continent où on n’a plus peur de l’Elysée. Le pré-carré français s’en va mourir de sa plus belle mort, parce que les Africains ont compris.
Il est vrai que quelques pratiques demeurent. Comme le financement de la classe politique française par les dirigeants africains cherchant la protection de Paris.
Malgré cela, il ne faut pas trop rêver. On ne peut se débarrasser de plus d’un siècle de colonisation et de néocolonialisme en quelques années. Même malgré eux et surtout à cause de cela, les Africains, dans leur immense majorité, restent attachés à la France : c’est le troisième facteur. Il y a quelques semaines, deux jeunes cadres des collectivités territoriales m’ont sollicité pour que je les prépare au concours d’entrée à l’Ecole nationale des finances publiques en France. Et en réalité, l’administration des finances au Bénin est dirigée par des cadres qui, à un moment ou à un autre, ont transité par ces grandes écoles françaises. Il en est de l’administration des finances comme des autres administrations béninoises. Y compris même le système éducatif. De ce fait, elles ont un fonctionnement presque calqué sur celui de l’administration française. Il faut ajouter à cela l’immense influence des médias français sur le continent. Ils y diffusent la pensée et la culture françaises à profusion. L’immense majorité des Africains veulent voir leurs enfants étudier à l’Hexagone, sans compter ceux qui cherchent à tout prix un visa français…
En un mot, comme en mille, l’influence géostratégique française est en chute libre, et Macron ne pourra pas grand-chose pour l’endiguer, face à la machine de Poutine.
Olivier Allochémè