Est-ce qu’Amouda Issifou Razaki sera reconduit à la tête de la Cour constitutionnelle lorsqu’il sera question de renouveler la mandature actuelle de la haute juridiction ? Je me permets d’en douter. La décision prise au dernier moment par cette institution donnant droit au parti Les Démocrates de participer au scrutin d’hier a fait basculer tous les plans de la mouvance.
Premièrement, les candidatures étant déjà enregistrées, elle a empêché la mouvance de se réorganiser face aux Démocrates. Peu ou prou, on s’attendait à la non-participation de ce parti. Ce qui a favorisé des candidatures multiples allant jusqu’à quatre partis de la mouvance. Pendant ce temps, l’opposition alignait trois partis dont un hyper-favori, les FCBE et MPL étant des outsiders. On assiste ainsi à un émiettement des voix au sein de la mouvance, émiettement qui aura servi la cause de l’opposition, et notamment de Les Démocrates.
Deuxièmement, il y a l’entrée en campagne de Boni Yayi lui-même. On savait qu’il avait financé en grande partie la candidature des Démocrates. Mais l’on ignorait qu’il entrerait lui-même dans la danse. Et il y est entré à la dernière semaine. L’effet de foule des apparitions de l’ancien président a créé un effet de surprise très utile pour une campagne électorale. Elle a désarçonné les candidats de la mouvance sur le terrain. On pensait que, dans son rôle de médiateur dans la crise guinéenne, il n’oserait pas entrer en opposition frontale avec Patrice Talon de peur de voir échouer sa mission sous-régionale. Yayi a brisé tous les codes. Mais en l’occurrence, il ne s’est pas montré réellement radicale. Le Boni Yayi de cette campagne a été pratiquement aux antipodes de ce que nous connaissons. Il a parlé très peu. Et même lorsqu’il a pu dire quelques mots, ce n’était jamais dans le lexique virulent anti-Talon qui l’a caractérisé il y a quelques années. Ce fut un homme prêchant la paix. Il y a du Kérékou dans cette démarche, du temps où le général faisait campagne sans dire grand-chose devant les foules hystériques qui l’adulaient. Elles n’attendaient rien de lui, pas même ses mots. Ce qui comptait pour ces gens, c’était sa présence. Les foules étaient des gens acquis à la cause. Sa présence devant eux aidait à alimenter le mythe.
Troisième chose, la présence des quatre partis de la mouvance a empêché le chef de l’Etat d’intervenir directement dans la campagne. C’est la première fois depuis les premières législatives de 1995 qu’un Chef d’Etat en exercice se retrouve dans une position si délicate qu’il est paralysé en pleine campagne électorale. Il ne pouvait faire campagne ni pour le BR ni pour l’UP-Le Renouveau, encore moins Moele-Bénin et l’UDBN. Résultat, l’embarras de choix de Patrice Talon a créé un effet inhibiteur chez les électeurs de la mouvance. La plupart ne sont pas allés voter, ne sachant que choisir. Le taux de participation de ces élections ne devrait pas dépasser 35% au grand maximum. Les électeurs de la mouvance se retrouvent devant le même embarras de choix que le président de la République. L’opposition aura largement profité de cette abstention.
Quatrième et dernière chose, les crocs-en-jambe au sein de la mouvance. Les parachutages de candidats ont enclenché et alimenté les guerres intestines dont les résultats sont là. Lorsqu’un Victor Topanou se retrouve tête de liste UP-Le Renouveau dans la sixième circonscription électorale, il pose un problème de fond à ceux qui avaient toujours milité dans le parti. Car il n’avait jamais été militant actif reconnu dans les instances du parti à la base. Il se retrouve ainsi en une situation d’imposition brutale qui décourage et révolte les militants de première heure, notamment les responsables qui travaillaient depuis longtemps à la base. Les conflits internes allumés dans ces conditions se traduisent par de sourdes oppositions qui ont anéanti les capacités de mobilisation des électeurs de la mouvance. « Laissons-les se débrouiller ». Tel est le leitmotiv qui a caractérisé cet abandon ayant tout l’air d’un boycott.
La mouvance a perdu ces élections dont les résultats sonnent comme un cinglant désaveux pour le Chef de l’Etat. Mais il s’agit plus d’un manque d’anticipation et d’un excès d’optimisme que d’un vote-sanction contre Talon.
Olivier Allochémè